Wednesday 2 November 2011

C'est quoi les vins "naturels"?


La dégustation d'hier (Cf. Lis Neris @ Alfa) m'a fait réfléchir au sujet des vins "naturels" voire "natures".  En effet, on entend de plus en plus de sommeliers, cavistes, journalistes et même simples consommateurs dire qu'ils préfèrent ou ne boivent que des vins "naturels".  Par opposition aux vins artificiels, j'imagine.  Mais arrêtons-nous deux petites minutes sur ce terme et ce qu'il implique.

Ces dernières années, il y a donc eu une espèce de prise de conscience collective, très dans l'air du temps, que les vins naturels sont meilleurs pour la nature, meilleurs pour vous et pourquoi pas meilleurs tout court.  Il y a bon nombre de jeunes amoureux de la nature qui se sont lancés dans la viticulture, rachetant ou plantant quelques hectares en Auvergne, Midi-Pyrennées ou Loire ou ailleurs, avec l'intention de faire un vin tout ce qu'il y a de plus naturel.  Ils sont faciles à repérer, ils ont souvent la barbe, sont un peu farfelus et les étiquettes de leurs bouteilles sont souvent très colorées et abstraites, avec des noms de cuvées en jeu de mots un peu (beaucoup) rébarbatifs.  Que n'a-t-on pas vu de Bulles-en-fête, Vin-o-naturel, The Naked wine ou autres?!  En discutant un peu avec ces jeunes vignerons, on se rend compte qu'ils ont des opinions assez prononcées sur ce que doit être la viticulture et comment il faut conduire son vignoble et faire son vin pour être vraiment "naturel".  Le pendant et porte-parole de cette nouvelle génération de vignerons, ce sont ces nouveaux cavistes ou bars à vins, le genre urbains branchés, jean slim, barbe et chemise à carreaux, qui vous font goûter l'oeil pétillant de joie ce vin d'un vigneron "nature", un mec vachement sympa, qui s'est lancé il y a à peine deux ans et qui fait déjà du vin naturel. Ah, oui, mais le vin est complètement bretté et il est reparti en fermentation dans la bouteille.  C'est pas grave, vous dis le caviste, qui ne sait même pas ce que ça veut dire, ce qui compte c'est la philosophie derrière, hein?  Ils essaient d'être le plus nature possible, alors on salue l'effort s'il vous plait!  Et puis, ce goût foxé crado, c'est parce que c'est nature, c'est comme ça la nature, ça sent pas forcément bon...  Bref, quand bien même j'ai de la sympathie pour ces néo-baba-cools, si le vin est dégueu et plein de défauts, je ne vois pas trop l'intérêt.  Les gens qui défendent ce type de vins sont au fond comme les trotskistes: ça ne marche pas du tout, mais l'idée est bonne, va pour l'idée!

Loin de moi l'envie de dire que ces vins ne peuvent pas être bons, mais si le résultat n'y est pas, mais alors pas du tout, pourquoi est-ce qu'on s'extasierait sur ces vins?  Etre naturel c'est très beau dans l'intention.  L'arsenic aussi c'est naturel, ce n'est pas pour autant que j'ai envie d'en boire...  Tout ça pour dire qu'en ayant de très belle intentions, ces vignerons en oublient souvent les bases.  Ils vont planter des vignes et les conduire en biodynamie dès le greffon sans aucune expérience préalable, alors que cela est plus que risqué.  Et surtout, pouvoir conduire son vignoble sans utiliser de produits chimiques, cela demande non seulement beaucoup d'expérience, d'abnégation, de savoir-faire, de timing, d'observation mais aussi une attention et un travail sans relâche.  Parce que quand on n'utilise pas de produits chimiques, on laisse le vignoble à la portée de toutes les bactéries, de tous les virus, insectes et autres champignons possibles et la vigne ne peut pas se défendre.  Et ici, il y a souvent une confusion énorme: être "nature" reviendrait à ne rien faire, ou plutôt à laisser faire la nature.  C'est marrant, parce que si le trotskiste est dirigiste quand il s'agit de société humaine, il est libéral, voire ultra-libéral pour ce qui concerne la nature... Laissez-faire, c'est ce qu'il y a de mieux!

Cependant, le but d'une viticulture "naturelle" (allez, j'en ai marre de ce terme, on utilisera désormais "viticulture respectueuse de la vie", ce qui est un peu long, je vous l'accorde) n'est pas de laisser les vignes se démerder, mais de les aider à se défendre contre toutes les attques en créant un équilibre "naturel", dans lequel les bactéries ou champignons ou insectes maléfiques sont "naturellement" contrées par d'autres organismes.  Et ça, ça ne s'improvise pas.  Je connais des vignerons, biodynamistes de très longue date, qui vont traiter leurs vignes avec du purain d'ortie entre deux heures et quatres heures du matin une nuit donnée, parce que c'est le meilleur moment pour avoir un rendement maximum de l'intrant: en gros, si on traite bien, on peut traiter peu.  La nature fera le reste, naturellement.  Mais, en fait, il n'y a rien de naturel ici: si le vigneron intervient le moins possible, il intervient quand même, et ce de façon tout à fait décisive.  C'est la main de l'homme qui permet au vignoble de vivre en équilibre, ça ne se fait pas tout seul du tout. Ensuite, aller traiter ses vignes au beau milieu de la nuit, il faut le vouloir un peu, quand même!  Je ne dis pas que ces jeunes vignerons néo-babas sont fainéants, je dis simplement qu'ils sont mal ou pas du tout conseillés et qu'il est tout simplement impossible de savoir faire un vin naturel bon tout de suite et tout seul.

Après, bien sûr, personne n'est d'accord sur ce qu'est un vin naturel, en termes de ce qui est admis ou pas: zéro produit chimique dans les vignes semble être accepté par tous, mais qu'en est-il des levures?  Je renvoie à l'article d'hier sur Lis Neris.  On peut faire du vin "naturel" en utilisant des levures sélectionnées?  Pour moi la définition la plus simple d'un vin "naturel", c'est un vignoble dont le sol est vivant et qui est fait avec des levures endogènes.  Sans aucune exception possible.  Il est simple aussi d'expliquer pourquoi ces vins sont meilleurs et parlent plus clairement le langage de leur lieu de production: les racines d'une vigne sont incapables d'ingérer les minéraux contenus dans le sol.  Elles ont pour cela besoin de toutes sortes de micro-organismes, bactéries etc. qui "pré-digèrent" les minéraux, qu'elles pourront ensuite absorber.  Donc si le sol n'est pas vivant, la vigne ne peut pas donner de vin "minéral".  Ensuite, les levures qui nous entourent partout, quand elles vivent en symbiose avec le territoire (vignoble), sont les seules à même de donner au vin le goût de ce même territoire. (Il faut vraiment que je fasse un post sur les levures, on va y venir...) Voilà, ce n'est pas plus compliqué que ça.  C'est pour cela que tous les vins bons sont vivants et qu'il ne peut pas en être autrement.  Cependant, arriver à faire du bon vin en respectant ces principes, c'est quasi mission impossible.  Alors, quand un vigneron y arrive et y arrive régulièrement, pas juste une année où tous les éléments météorologiques sont de leur côté, et bien ça, pour moi, c'est miraculeux et beau.

Bon, donc, désolé pour tous les baba-cools, je ne veux pas vous décourager d'essayer de faire du bon vin, mais ce n'est pas parce que c'est "nature" que c'est bon, pour ça il faut beaucoup plus que des bonnes intentions.

Donc, on récapépète, faire du vin "naturel" c'est bien, mais c'est surtout très compliqué.  Je préfère parler de vin vivant, plutôt que de vin naturel, parce que naturel ça veut dire tout et n'importe quoi.

3 comments:

  1. Etles vins bio alors, c'est déjà passé de mode ?

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  2. Le bio, ça peut faire partie de vins "naturels". Beaucoup de vignerons ne se reconnaissent cependant pas dans les certifications existantes. Noter tout de même qu'il faut distinguer entre vins entièrement bios et les vins "issus de raisins biologiques". Dans ce dernier cas, on a toute lattitude pour faire ce que l'on veut comme manipulation à la cave, mais les gens croient toujours que le vins est bio... Vous l'aurez compris: le vins issu de raisin bios, c'est un label assez trompeur.
    Bref, il faut toujours faire attention aux étiquettes, labels etc. Encore une fois, la meilleure façon de savoir, c'est de rencontrer le vigneron et de le questionner sur ses pratiques ou, mieux, d'aller lui rendre visite.

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  3. Excellemment bien développé ! Moi aussi j'ai récemment eu la mauvaise expérience d'un vin naturel exprimant un "terroir" aux bonnes odeurs de croupe de jument et de chaussettes de basketteur... Mais pas de SO2 libre ! chouette ! On peut ajouter le curare dans la liste des produits naturels sympa !
    A plus Jérém

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